Séquence sur les masques

Travail fait au sein de la Compagnie du Passeur

Par Sylvie Bitterlin et Thierry Heynderickx

Rendu disponible grâce à un membre de Dramaction.

 

Les animateurs

Sylvie Bitterlin a suivi l’école J.Lecoq, Thierry Heynderickx a travaillé à Bruxelles (Théâtre de Banlieue, stage avec Ludvig Flaschen, élève de Grotovski). Tout deux ont été ensuite formés par Philippe Hottier (ancien comédien du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine). Ils suivent depuis 1991, l’enseignement de Danis Bois, fondateur d’une pédagogie corporelle développant la présence à soi. Sylvie Bitterlin est titulaire d’un DESS en Art Thérapie et Mouvement, Thierry Heynderickx d’un DESS de Somato psycho pédagogie (lien entre corps et pensées). Ils dirigent tous deux la compagnie du Passeur, basée dans les Alpes de Hautes Provence et proposent spectacles et formations professionnelles et amateurs.

1. Préparation de l’acteur pour le jeu masqué

La posture intérieure

Dans le travail du masque, ce qui est important pour nous est que le personne ne joue pas « l’idée » qu’elle a du masque mais entre dans une écoute perceptive des effets que produit le masque en elle et des informations intérieurs qui la guideront dans la posture à prendre, la tonicité, le rythme, le voix, les pensées déclenchées par le masque. Nous ne présenterons donc pas les masques en temps que entités pré-définie soit par la commedia dell’arte ou le jeu balinais mais comme des outils permettant à la personne de respecter un cadre, une forme imposée par le masque et de rencontrer une partie d’elle-même non encore révélée. Ainsi chaque acteur aura-t-il sa manière à lui de jouer un masque tout en l’inscrivant dans une dynamique commune proposée par le masque. Il est donc important, avant d’entrer dans l’exploration du masque lui-même, de développer les capacités perceptives de la personnes afin qu’elle puisse entrer en relation avec :

– son corps

– ses états intérieurs

– ses pensées

– les effets internes produits par ses propres gestes, ses propres attitudes, la relation à l’espace, les actions de ses partenaires.

– les informations internes proposant des actions.

– les informations venant du masque.

  1. Introspection sensorielle

Développer la capacité de perception

La personne s’assoit sur une chaise, dans une posture neutre confortable.

Pendant une dizaine de minutes, elle reste immobile, relâchée, les yeux fermés et essaie de suivre les propositions que lui fait l’animateur pour le guider dans la perception de son corps.

1. Perceptions extéroceptives des sens : ce que la personne entend, voit.

Perceptions intéroceptives : percevoir sa posture, les mouvements qu’elle fait.

2. Perception physiques : percevoir chaque segments du corps (membres, colonne vertébrale, tête…) et les organes.

3. Perception des pensées : les catégoriser (pensées en rapport avec le corps, préoccupations, pensées emanentes « qui surgissent »)

4. Perception des effets internes : tensions, détente, chaleur, volume, présence.

5. Perceptions des tonalités : états intérieurs, variation de sentiments de soi.

6. Perceptions de ce qui change en soi (évolution, transformation interne)

2. Langage gestuel

a. Travail de la lenteur et de la posture.

De la posture neutre assis, la personne ira très lentement, les yeux fermés, vers une extension puis après un temps d’arrêt reviendra à la flexion.

Ce même mouvement se répétera une dizaine de fois, guidé verbalement par l’animateur, avec une intention d’évolution dans :

  1. L’amplitude du geste
  2. L’augmentation de la participation des segments du corps (au début il n’y a que la colonne, puis on ajoute la tête, puis les bras, puis les jambes)
  3. La perception de tous les segments en mouvement
  4. La perception constante du voyage d’une posture à l’autre
  5. La perception de l’état qui naît pendant la posture
  6. La perception de la transformation progressive de l’état pendant le voyage d’une posture à l’autre.
  7. L’éveil de l’imaginaire venant du corps c’est-à-dire déclenché par le mouvement et la posture.
  8. La perception de l’envie du corps : en fin de parcours, la perception étant éveillé, l’animateur laisse la personne libre d’aller dans l’orientation de mouvement qu’elle souhaite à condition de répondre à l’envie du corps qu’elle perçoit et non à une intention mentale.

Cet exercice se fera ensuite debout puis en déplacement.

b. Travail à deux : construire l’empathie

Le travail précédent sera proposé à deux.

Les deux personnes sont face à face. L’exercice a pour but de respecter un rythme commun : les deux personnes doivent être en empathie corporelle, c’est à dire se percevoir et s’écouter mutuellement. Leur temps de mouvement et leur temps d’arrêt doivent être commun. Elles commencent un mouvement d’extension en même temps, vont jusqu’à la posture et reviennent en flexion en même temps. Elles construisent ainsi un effet miroir. Elles répètent ce geste en y ajoutant peu à peu les bras. Lorsque l’écoute corporelle est crée, les deux partenaires peuvent entrer dans des orientations de geste différentes. Elles se laissent guider par l’envie des corps et entrer dans l’imaginaire qui naît de leur mouvement commun sans perdre l’empathie.

Le masque neutre

Par sa neutralité, le masque neutre pousse à explorer tous les possibles. Le fait d’être caché aide l’acteur à se révéler, à utiliser le langage du corps plutôt que celui des mots. Lorsqu’il est fait en conscience, porté par une attention soutenue, un geste banal porte en lui tout un imaginaire.

Découverte du masque et du rapport au public.

Travail seul.

La personne met le masque face au public.

En posture neutre, les yeux fermés, elle se concentre sur ses perceptions internes.

Elle ouvre les yeux et regarde le public, elle ne doit pas perdre ses perceptions internes et percevoir en plus les effets que provoque en elle le regard du public.

Très lentement elle laisse un geste simple venir qui se termine en posture immobile : elle perçoit la transformation de son état intérieur pendant le geste et l’état qui lui vient dans la posture. Elle partage cet état avec le public en regardant alternativement et longuement quelques personnes du public.

Elle continu ainsi son improvisation de geste en geste en essayant de respecter l’envie du corps.

L’important n’est pas l’action qu’elle fait mais ce qu’elle ressent et transmet à chaque geste au niveau de son état et de son imaginaire.

Le jeu avec un partenaire

Travail à deux.

Le travail de préparation à deux est repris, mais, cette fois-ci, avec les masques. Le travail en miroir, dans un premier temps, permet de construire l’empathie, puis dans un deuxième temps, les acteurs entrent dans un mouvement libre. Dans le travail à deux, on ne demande pas d’intégrer tout de suite le public, cela ferait trop d’information à gérer. La proposition est faite seulement lorsque les deux partenaires se sentent à l’aise.

Les masques expressifs

Les masques expressifs proposent à l’acteur de se glisser dans une structure corporelle très précise qu’il doit découvrir par lui-même. Ils apprennent à l’acteur à se plier à une contrainte qui lui donnera ensuite accès à une grande liberté. Ils permettent ainsi d’apprendre à la personne à se structurer pour devenir libre ensuite. Ils donnent également accès à des formes de comportements nouvelles pour l’acteur et des parties de lui inexplorées.

Les masques sont déposés sur une table.

A. Exploration des masques.

Travail en groupe

  1. Aucune indication n’est donnée sur la manière de jouer les masques mais il est demandé de les regarder attentivement, sans les juger, en s’imprégnant de leur forme, de leur volume, de l’état qu’ils dégagent, du rythme qui semble émaner d’eux. Il est proposé aux acteurs d’être attentifs aux effets produits en eux par les masques, ceux qui les attirent, ceux qui les attirent moins.
  2. Chaque acteur choisi un masque parmi ceux qui l’ont le plus attiré.
  3. Chaque acteur muni d’un masque se place devant un miroir. En posture neutre, les yeux fermés pour retrouver la perception interne du corps.
  4. Les acteurs mettent les masques et restent un temps à s’imprégner de l’image dans le miroir
  5. Petit à petit, guidé par l’image dans le miroir, ils laissent transformer leur posture à partir d’un mouvement de la colonne vertébrale (certains iront plutôt vers une extension, d’autre vers une flexion)
  6. Tout en maintenant la posture de la colonne, laisser venir un mouvement précisant la posture des membres (jambes plutôt écartées ou resserrées, coudes plutôt écartés du corps ou proche du corps). La posture des membres donnera le sentiment de largeur latérale du personnage.
  7. Tout en maintenant immobile la posture globale, observer le regard du masque.
  8. Observer la sensation de volume interne (le personnage est-il ressenti comme épais ou mince, lourd ou léger)
  9. Préciser le tonus intérieur (relâchement du corps, fluidité ou intensité)
  10. Quel est l’état perçu comme prioritaire du personnage (colère, gaieté, timidité, tristesse, etc …). Laisser petit à petit l’état habiter tout le corps jusque dans le regard.
  11. Mettre les jambes en mouvement en entraînant doucement le bassin dans des latéralités mais sans déplacement.
  12. Commencer doucement à bouger les bras pour aller dans de nouvelles postures. De posture en posture, ne pas perdre les sensations ressenties dans l’immobilité. Sentir le dialogue qui se fait avec le miroir, chaque posture de bras traduisant une nouvelle pensée et transformant légèrement l’état intérieur.
  13. Chercher la voix par des tous petits sons au départ. Percevoir où, spontanément se place la voix : plutôt dans la gorge, plutôt dans le nez, plutôt grave, plutôt aiguë. Jouer avec le miroir comme avec un autre personnage, un frère jumeau avec lequel une petite conversation non verbale s’engage. Puis, laisser venir petit à petit un mot ou une expression qui servira de base pour la communication. Repérer que cette expression est porteuse d’une vision particulière du monde.
  14. Commencer à tourner doucement la tête pour s’entraîner à quitter le rapport au miroir sans perdre la précision des sensations internes.
  15. Commencer à découvrir l’espace autour et laisser le corps suivre le regard en faisant quelques déplacements. Dans le déplacement, être très attentif à la manière de mobiliser les jambes : l’acteur garde-t-il la présence dans ses jambes, le volume qu’il ressentait en étant immobile. Percevoir si les pas ont tendances à être courts ou longs, rapides ou lents et ne pas perdre les perceptions acquises dans l’immobilité lors du déplacement.
  16. Dans le déplacement, les bras s’adaptent aux mouvements des jambes et donnent d’autres attitudes. Par contre la posture de la colonne vertébrale ne se modifie pas (sauf pour certains masques dont la dynamique est une transformation constante).
  17. Découvrir les autres personnages incarnés par les autres acteurs et prendre le temps de la rencontre avec l’un et l’autre en échangeant le son ou l’expression de base. Poser l’attention à ce que dans la rencontre, la variation des états ne fasse pas perdre la posture de base.
  18. Commencer à entre dans des petites discutions ou improvisations avec un partenaire pour explorer le point de vue ou les représentations du personnage.
  19. Tout le long de l’exercice, l’acteur sera attentif aux effets que produit le jeu du masque en lui (sensation de facilité ou de difficulté, liberté ou contrainte, plaisir ou retenue, facilité ou difficultés de communication…).
  20. Fin de l’exercice : les acteurs enlèvent leur masque et entament une discussion avec l’animateur pour exprimer et comparer leur perceptions.

Le même exercice est  reproduit avec trois ou quatre autres masques.

L’acteur pourra alors comparer les différences de :

–          postures

–          intensités

–          rythmes

–          volumes

–          états d’âme

–          voix

–          pensées

–          point de vue

–          effets produit en lui

suivant le masque qu’il travaille.

B. Le rapport au public

Travail seul

L’acteur choisi dans les masques qu’il a explorés, celui qui lui a produit le plus de plaisir.

Il se prépare à nouveau devant un miroir qui est installé sur la scène, de profil au public.

Il refait, au présent, devant le public, tout le travail de préparation décrit dans l’exercice précédent.

Lorsqu’il se sent prêt, il quitte le miroir et entraîne son regard vers le public. Il pose le regard sur quelqu’un et reste quelques instants avec lui pour partager l’état qu’il ressent. Il déplace ensuite son regard sur quelqu’un d’autre. Il essaie de dire son expression ou sa phrase à l’adresse de quelqu’un du public. S’il est à l’aise, une petite situation naît : le personnage masqué, découvre le public et lui parle directement.

L’objectif de ce travail n’est pas de faire des actions ni de jouer une scène mais de « présenter » au public le personnage en lui montrant sa manière de se tenir, de se déplacer, de bouger, de parler.

L’acteur doit rester très précis dans ses perceptions, dès qu’il « perd » son personnage, il retourne au miroir pour « reconstruire » les différents paramètres physiques qui constituent la forme du personnage.

C. Le rapport au partenaire

Travail à deux

Deux comédiens se préparent derrière le rideau. Ils ont un miroir chacun. Ils présentent un masque qu’ils ont travaillés tout d’abord seul afin d’être à l’aise avec les différents paramètres qui constituent le personnage et être solides dans sa mise en mouvement.

Ils prennent bien le temps de refaire tout le parcours de préparation devant le miroir, mais, cette fois-ci, cachés du public. Lorsqu’ils sont prêts, sans se concerter, ils passent le rideau. Le premier regard est consacré à la rencontre avec le public. Dans un deuxième temps, le personnage voit l’autre personnage. Il laisse venir en lui la réaction et la transmet au public en regardant de son côté.

Le jeu va alors être de trouver l’équilibre entre les moments où l’acteur regarde son partenaire et le moment où il regarde le public pour lui transmettre ce qu’il ressent, tout en restant toujours en empathie corporelle avec son partenaire.

Petit à petit, si les acteurs sont à l’aise avec les masques, une situation entre les deux personnages peut naître.

Recommandation pour le travail du masque expressif            

–          Toujours prendre le temps d’une préparation. D’abord sans les masques « échauffement perceptif », puis avec les masques ; d’abord sans le public (expérimentation pour soi), puis avec le public (passage à l’état de représentation qui ne doit pas faire perdre le lien avec soi construit en groupe).

–          Il est important que l’acteur commence à travailler avec un masque avec lequel il se sent bien.

–          Respecter une évolution progressive pour permettre à l’acteur d’intégrer tous les paramètres physiques.

–          Ne pas faire d’improvisations trop longues, le jeu du masque étant fatiguant dans la précision, l’intensité, l’énergie qu’il demande.

–          Faire respecter au maximum les temps de postures et d’arrêts : ce sont dans ces moments là que l’acteur prend contact avec le public et que l’échange est le plus intense.

–          Enlever l’idée préconçue que le jeu masqué doit se faire dans une grande énergie, soutenu par des mouvements physiques extrêmes et beaucoup d’action. Le masque vit au maximum dans les petites choses et dans un rapport vrai et authentique au public.

–          Le masque est un outil très puissant qui existe par lui-même à partir du moment ou l’acteur est vivant, conscient, présent, authentique.

Toujours demander à l’acteur après un travail ce qu’il a ressenti et ne pas projeter, en tant qu’animateur ses propres interprétations. Entendre dans ce que dit l’acteur, les paramètres porteurs de solution, de découvertes et ne pas s’attarder aux difficultés et aux résistances.


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