La préhistoire

Vers – 10 000 avant J.-C.

Le temps des cavernes, des peaux de bêtes et de la cueillette. Le temps des cérémonies  magiques. Les femmes s’occupent des enfants et l’homme chasse : pour attirer les animaux, il se déguise, se travestit comme eux. Ces ‘rites’ étaient de la magie (avec un caractère secret), donc non publics ( le caractère public et le jeu caractérisant le théâtre) mais c’est utilitaire, dans ce cas, donc ce n’est pas un jeu.

Vers- 6000 avant J.-C.

L’homme se sédentarise grâce à la femme qui a l’idée de planter des graines: c’est le travail de la terre. L’homme s’y met aussi, fier de sa femme… Le culte de la déesse-terre/mère apparaît, avec lui, des ‘fêtes du printemps’, explosion de joie de vivre. De la mort à la naissance. On fête l’agriculture, la renaissance de la nature. C’est aussi l’apparition du jeu du ‘monde renversé’ (un inférieur commande à un supérieur – cet inférieur se travestit, se rend méconnaissable par peur de représailles- C’est un divertissement collectif. Peut-être un début de théâtre ?

Vers – 5.000 avant J.-C.

La civilisation agricole se fixe autour de la mer Méditerranée  (sociétés matriarcales, les femmes sont honorées, elles dirigent le clan). C’est l’apparition d’une mythologie primitive et de fêtes en l’honneur de la Terre-Mère, appelée Gaïa. Déesse effrayante car selon la mythologie primitive, l’Enfer fait partie de son champ d’action.

On la ‘détriple’ en trois nouvelles entités : Déméter, terre-mère / Perséphone, sa fille, déesse du printemps /Hadès, Dieu des Enfers, son oncle.

C’est aussi la naissance du Culte de Déméter avec les Mystères d’Eleusis :  jeux scéniques en l’honneur de Déméter, réservés aux initiés tenus au secret.

Voici ce qu’a écrit Franca Rame, à propos de Déméter et de ces rites primitifs dans un extrait de l’ouvrage ‘Le gai savoir de l’acteur’, de Dario Fo, p. 292 à 294. Alors que les historiens du théâtre s’accordent à dire que la femme n’a eu que bien tard une place au théâtre (en qualité d’actrice), le texte ci-dessous dévoile au contraire que la femme occupait une place essentielle dans ces cultes et fêtes primitifs.

« … J’ai dit en commençant qu’au temps des Grecs, une femme ne pouvait pas monter sur scène. C’est toutefois un veto qui ne s’est imposé qu’à partir du VIIe siècle avant Jésus-Christ.

Dans des temps plus anciens, au contraire, les femmes jouaient et inventaient des histoires dont elles étaient les protagonistes. C’est avec un certain orgueil que je peux révéler que même la tragédie, dans la forme la plus archaïque, a été inventée par des femmes. Et détail étonnant, ces tragédies se développaient à partir de schémas comiques et même bouffons.

En effet, comme le dit Roberto Tessari dans son Teatro del corpo, teatro della parola, le rite d’Eleusis, forme première du spectacle tragique, est né en souvenir d’une bouffonnerie inventée par une fille pleine d’esprit pour arracher Déméter, mère de Coré, à son désespoir.

La Terre-Mère descendait de l’Olympe où elle s’était violemment heurtée aux dieux, car ils n’avaient pas accédé à sa demande. La déesse les avait priés de lui faire rendre sa fille qu’Hadès avait enlevée, et les dieux s’étaient moqués d’elle. Indignée, Déméter étaient revenue dans les vallées et s’était arrêtée à Eleusis chez des hôtes généreux. Mais elle restait à l’écart dans l’atrium, désespérée. Elle avait même refusé le vin que Baubô, la fille pleine d’esprit lui avait offert.

Baubô, qui dans le rite d’Eleusis est désignée comme ‘la fille de la terre’, se déshabille et peint sur son ventre deux grands yeux, un nez, et un peu au-dessus du pubis, une bouche. Mettons que le nombril soit le troisième œil. Elle cache son visage et son buste sous de l’étoupe, ce qui fait une grande chevelure sur un grand et gros visage. En se déhanchant, en creusant et en gonflant alternativement son ventre, elle improvise devant la déesse une danse avec des épisodes obscènes et chante des vers un peu lestes. Déméter sourit… elle rit, même, et s’amuse. La fille de la terre a réussi à délivrer la Terre-Mère de la tristesse. C’est le retour de la joie et de la vie dans la création… dans le monde des hommes.

Aux origines du nô japonais, il y a des récits analogues. On y trouve aussi une divinité offensée contre les autres dieux. Il s’agit du Soleil en personne : il s’est enfermé dans une grotte et ne veut plus en sortir. La Terre est enveloppée dans la plus profonde obscurité. Les dieux sont réunis devant la grotte autour du feu, espérant que le Soleil va renoncer à sa colère. Ou qu’il daigne au moins les écouter.

En attendant la jeune fille – notez que c’est toujours la femme qui invente le jeu comique – une gracieuse demi-déesse, monte sur une dalle de pierre près du feu et se met à chanter. Elle commence à se mouvoir en mettant en évidence l’extraordinaire beauté de son corps, elle esquisse des pas de danse et se dévêt. Pendant le ‘strip-tease’, la jeune femme s’excite et introduit des variantes obscènes. Les paroles qu’elle chante prennent aussi des accents d’un comique osé. Les dieux rient et applaudissent.

Du fond de son antre, le Soleil entend les éclats de rire et, par curiosité, jette un regard à travers une fente. Pour mieux épier, il déplace la grosse pierre qui bouche l’entrée de la grotte. Le soupirail s’élargit. Une ‘découpe’ de lumière éclaire la jeune ‘strip-teaseuse’ qui, flattée, accentue les déhanchements et les pause lascives, parmi les applaudissements et les sifflements de charretiers de l’assemblée des dieux, dont on connaît le vice ! Le Soleil aussi rit et applaudit. Et c’est la fin des hostilités. La vie reprend.

Dans les deux plus anciennes formes de tragédie qu’on connaisse, nous avons donc au départ la catharsis par le rire et l’obscénité sexuelle qui libèrent la lumière et l’harmonie. Colère, haine, peur sont ainsi, dans toutes les représentations populaires, exorcisées et résolues dans le jeu grotesque. »

Vers – 3000 avant J.-C.

C’est le début de l’âge des métaux. Pendant deux siècles, des tribus guerrières d’Asie centrale envahissent le monde connu (invasions aryennes) et imposent le retour du patriarcat, de la force masculine, des armées. Leurs femmes sont cloîtrées et esclaves.

C’est alors un dieu du Printemps que l’on doit honorer. Un mâle, sauvage et joyeux et de nouvelles fêtes remplacent les fêtes agraires : des mouvements frénétiques, une ‘plongée’ dans le chaos originel pour lever pour un temps précis des tabous, des interdits, notamment sexuels… apparition de l’orgie rituelle.

Vers – 2000 avant J.-C.

Les invasions indo-européennes se poursuivent, envahissent notamment la Grèce, c’est la période des cités (Sparte, Mycènes, Thèbes, Argos, Athènes, etc.) qui deviendront de florissantes villes commerçantes. Les ‘Grecs’ s’installent et se cherchent un passé flatteur. Alors on demande à Homère, qui est poète, de raconter une épopée fondatrice… la guerre de Troie ! Pendant ce temps, on élimine les basileus (rois héréditaires) pour que ce soient les «meilleurs » qui exercent le pouvoir : les aristocrates. Cela devient une féodalité commerçante qui exploite les citoyens pauvres en leur louant des terres très, trop cher. Les familles nobles prennent la tête des cités en profitant des paysans, ce qui accentue les inégalités et pendant ce temps… un nouveau dieu venu d’Asie s’impose (Dionysos).

Vers – 800 avant J.-C. : le développement du culte de Dionysos

Dieu du printemps, joyeux, souffrant ( embryon de la tragédie !), ami des hommes et qui entraîne les femmes de la ville d’ordinaire cloîtrées. C’est ,entre autres, le dieu de la vigne, du vin, de l’ivresse, mais aussi de l’ivresse poétique, du don de voyance et finalement du théâtre – Commencent les orgies dionysiaques, culture rurale du ‘chaos tournoyant’ qui en deux siècles, prendra la forme du théâtre.

L’évolution du ‘chaos tournoyant’ et du rôle des acteurs :

o       Tout le village participe : on chante et danse , c’est l’ivresse collective et on tourne autour d’une borne de pierre, un autel ,et on y boit. Ensuite on y sacrifie un bouc.

o       Cela devient l’anneau tournant (on chante et danse) autour de l’autel qui se réduit aux hommes du village les plus doués (Selon qui ? je ne sais pas.). Les autres villageois sont ‘regardants’, ce sont les premiers spectateurs. Les plus inspirés des ‘choreutes’ improvisent.

o       Et puis, un choreute plus inspiré que les autres monte sur l’autel et y poursuit son improvisation en solo. Il devient le coryphée, le chef du chœur et guide les autres qui lui répondent.

o       Une table ( la ‘scène’) est placée près de l’autel : le coryphée qui y saute (saltare in banco veut dire saltimbanque) peut y gesticuler à l’aise.

o       Ses improvisations deviennent de plus en plus importantes : on les nomme le ‘dithyrambe’ : Des ‘vedettes’ parmi les coryphées s’affirment et font la renommée de leur village.

Pour canaliser le culte de Dionysos et son effrayant ‘chaos tournoyant’, on a l’idée, au début du VIe siècle, de faire appel à des ‘rhapsodes’ comme coryphées du ‘Dithyrambe’ (ce sont des éloges et des récits improvisés pour glorifier et évoquer le dieu Dionysos pendant les ‘orgies’ dionysiaques).

Ce sont des conteurs professionnels qui se produisent au coin des rues des cités (ou dans de petites baraques) pour y raconter à la population la légende de Dionysos mais aussi et de plus en plus souvent, des histoires de la guerre de Troie ou des grandes familles royales grecques ( Les Atrides : Agamemnon, Iphigénie, Electre… – Les Labdacides : Œdipe, Antigone…). Ces conteurs utilisent peu à peu un langage parlé pour répondre au chœur chanté. Un de ces célèbres rhapsodes est Thespis (né en -590).

En -560 : Thespis, un de ces nouveaux coryphées invente le masque en stuc (fait de chiffons et de colle) et la notion d’acteur : en changeant de masque, il devient successivement les personnages évoqués, qui dialoguent avec le chœur. Il parcourt les villages en chariot avec sa troupe, ses masques, son matériel et sa troupe personnelle de choreutes (le chariot de Thespis !). C’est assurément un premier ‘professionnel’, mais à l’époque, cette notion est peu compatible avec sa mission : célébrer un culte civique.

C’est ainsi qu’en -560, Thespis se produit à Athènes et scandalise Solon, un vieux législateur. En effet, Thespis jouait si bien, en alternant tous les personnages, changeant de voix, de gestuel que Solon lui demanda si il n’avait  pas honte de mentir si bien publiquement. Il voulait l’intimider, de peur que ce genre de comportement mensonger ne se propage dans la cité. Mais le théâtre, n’est-ce pas mentir pour dire une vérité ? Que font les hommes qui dirigent la cité ? Ne mentent-ils pas ? Soit ! Cela n’empêche pas Thespis,  en – 534,  de participer aux premières Dionysies (concours annuel d’auteurs de tragédie) instituées par Pisistrate (le tyran de l’époque) et de remporter la première palme de ce concours.

En institutionnalisant les Dionysies, le ‘chaos tournoyant’ devient un outil au service de la cité.

De plus, les légendes, les aventures des grandes familles royales ou la guerre de Troie sont des aventures si riches et complexes que l’art du conteur ne suffit bientôt plus à les transmettre.

De la ‘diégesis’, ou l’imitation du récit raconté, apparaît la nécessité de passer à l’imitation de la représentation des personnages agissants : la ‘mimésis’. D’où la nécessaire invention du théâtre et d’une série de techniques pour représenter ces récits.


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